Fabrication et diffusion d’un document de propagande

Début 1900
À Paris, Pyotr Ratchkovski, membre de la police secrète russe nommée Okhrana, et Matvei Golovinski, faussaire en la circonstance, fabriquent le texte qui sera connu sous le titre « Les Protocoles des sages de Sion ». Ils prennent notamment pour matériau des extraits du « Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu », pamphlet contre la gouvernance de Napoléon III écrit par Maurice Joly et publié en 1864Le document réalisé est envoyé en Russie pour participer à une propagande officielle, légitimer la répression de contestations politiques, justifier des pogroms.

1905
En Russie, 1ère édition d’une version complète traduite en russe et intégrée dans le livre « Le grand dans le petit; l’antéchrist est une possibilité imminente » par Sergei Nilus.

1920 

  • Propagation du texte hors de Russie par des russes qui fuient la révolution bolchévique.
  • Traductions : en allemand, « Die Geheimnisse Der Weisen Von Zion » signée Gottfried zur Beek (janvier), en anglais « The Jewish peril » (février), aux États-Unis « The protocols and world revolution – Protocols of the meetings of the zionist men of wisdom ». Plusieurs traductions en français dont « Protocols » dans « La Vieille France » de Urbain Gohier ; « Le péril judéo-maçonnique, les Protocols des Sages de Sion » signé Mgr Jouin (RISS).
  • Aux États-Unis, le dirigeant d’industrie automobile Henri Ford, propriétaire du journal « The Dearborn Independent » publie une suite éditoriale intitulée « Le juif international » qui s’étalera sur 2 années, adaptant les thèmes des « Protocoles… » à la société américaine.
  • En Angleterre, « The Times » publie le 8 mai, un article intitulé « The Jewish peril » qui aborde la question de l’authenticité du texte en la mettant en parallèle avec les événements historiques contemporains. Le « Morning Post » publie une série d’articles qui seront compilés dans le livre « The cause of world unrest » s’appuyant sur Nesta Webster pour tenter de donner du crédit aux « Protocoles… » avec la thèse d’une conspiration « Illuminati » remontant à l’abbé Barruel.

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Juxtaposition du « 1er » (protocole) de la version « Protocols » d’Urbain Gohier en 1920 pour souligner le plagiat et le détournement d’avec « Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu » de Maurice Joly de 1864.

1921

  • En août, un article dans « The Times » révèle l’utilisation du livre de M. Joly dans la fabrication des « Protocoles… ».
  • Traduction « Protocols des sages de Sion » signée R. Lambelin chez Grasset.

1925
A. Hitler cite le faux document des « Protocoles des sages de Sion » dans la première partie de « Mein Kampf », « chapitre 11. Le peuple et la race » :

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Les « Protocoles des sages de Sion », que les juifs renient officiellement avec une telle violence, ont montré d’une façon incomparable combien toute l’existence de ce peuple repose sur un mensonge permanent. « Ce sont des faux », répète en gémissant la Gazette de Francfort et elle cherche à en persuader l’univers ; c’est là la meilleure preuve qu’ils sont authentiques. Ils exposent clairement et en connaissance de cause ce que beaucoup de juifs peuvent exécuter inconsciemment. C’est là l’important. Il est indifférent de savoir quel cerveau juif a conçu ces révélations ; ce qui est décisif, c’est qu’elles mettent au jour, avec une précision qui fait frissonner, le caractère et l’activité du peuple juif et, avec toutes leurs ramifications, les buts derniers auxquels il tend. Le meilleur moyen de juger ces révélations est de les confronter avec les faits. Si l’on passe en revue les faits historiques des cent dernières années à la lumière de ce livre, on comprend immédiatement pourquoi la presse juive pousse de tels cris. Car, le jour où il sera devenu le livre de chevet d’un peuple, le péril juif pourra être considéré comme conjuré. »
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« Mein Kampf ». Mon combat. Adolf Hitler. (cf. ed. Nouvelles Éditions Latines p. 307)

1939
En France, publication de « L’apocalypse de notre temps » (Nouvelle Revue Française, Gallimard) d’Henri Rollin, qui tente de reconstituer la fabrication des « Protocoles… » et émet plusieurs hypothèses dont celle liée à P. Ratchkovski.

1940
En France occupée, la « Liste Otto » des « Ouvrages retirés de la vente par les éditeurs ou interdits par les autorités allemandes » contient le livre d’H. Rollin et plus de 1 000 autres. La liste avait comme préambule :

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« Désireux de contribuer à la création d’une atmosphère plus saine et dans le souci d’établir les conditions nécessaires à une appréciation plus juste et objective des problèmes européens, les éditeurs français ont décidé de retirer des librairies et de la vente, les œuvres qui figurent sur la liste suivante et sur des listes analogues qui pourraient être publiées plus tard. Il s’agit de livres qui, par leur esprit mensonger et tendancieux ont systématiquement empoisonné l’opinion publique française ; sont visées en particulier les publications de réfugiés politiques ou d’écrivains juifs, qui, trahissant l’hospitalité que la France leur avait accordée, ont sans scrupules poussé à une guerre, dont ils espéraient tirer profit pour leurs buts égoïstes. Les autorités allemandes ont enregistré avec satisfaction l’initiative des éditeurs français et ont de leur côté pris les mesures nécessaires. »
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Liste « Otto », 1940.

 


 

Les « Protocols » avec Urbain Gohier

Le texte « Les protocoles des sages de Sion » est un faux document policier fabriqué maladroitement. Mais si la question de leur authenticité n’était plus tenable dès 1921, soit une année après ses traductions et une diffusion internationale, l’objet a continué d’être utilisé par ceux pour qui il représentait l’enjeu d’un discrédit. L’objet « Protocoles » a été assumé par certains pour préserver et même reproduire un outil d’analyse au-delà d’un antisémitisme fédérateur voire moteur. En France, l’éditorialiste Urbain Gohier qui le diffusait en 1920 tentait d’en maintenir une pertinence en 1924 lors d’une énième réimpression, au nom d’une « authenticité substantielle » (sic) ! Éditorialiste prolifique, la signature U. Gohier était connue et associée à un antisémitisme de plume avant sa publication des « Protocoles ». Quelques sauts dans le temps. En 1905, il publiait « La Terreur Juive, après l’armée de Condé, la tribu de Levi, le socialisme juif. Sera-t-il permis à un Français de n’être ni jésuite ni juif? ». En 1911, la publication « L’œuvre » dont il était un des fondateurs titrait « Nos vœux pour 1911 : reprenons la France aux juifs », et encore « Un programme antisémite : 1° Reprise des biens de la congrégation juive », « Un programme antisémite : 2° Fermons la frontière à l’invasion juive ». Avec « La vieille-France » qu’il lance en 1916, chaque numéro comprenait un titre fil-conducteur : « Laissons la bourse aux juifs. Seulement… », « L’Angleterre découvre l’internationale juive », « le bolchevisme juif. », « Rothschild, commanditaire du Bolchevisme »… Et les campagnes qui vont avec, révélant divers cibles. Quelques titres, pour fustiger d’autres publications :  » ‘Le Matin’, le ‘Petit Parisien’ et les juifs ». Des politiques : « Voici la preuve qu’Aristide Briand est l’homme des Juifs ». Des milieux : « La Sorbonne Judéo-Allemande ». Stigmatiser : « L’abbé Lemann restait un juif », « Les vols du juif Citroën ». Régler des comptes : « La trahison du milliardaire Henry Ford ». Mobiliser : « Encore un Français tué par un juif ». Internationaliser : « L’amérique juive », « Noirs, jaunes et juifs aux États-Unis », « Comment les juifs ont pris l’Angleterre », « Empire juif en Russie, en Autriche », « Aux juifs l’Alsace, l’Algérie, la Russie, la Hongrie… », « Serajevo, Cracovie, Vilna : crimes juifs », « Les juifs contre la Pologne », « La France en Syrie au service des Juifs ». Lancer des appels : « De même aujourd’hui La Vieille-France, quelque sujet qu’elle examine et disserte est amenée par la force de la logique à conclure qu’il faut anéantir la Juiverie parce que tous les problèmes qui concernent le bien-être, la paix, le progrès, l’existence même des Sociétés civilisées sont dominés par la Conspiration, la menace et l’infection juive ». L’engagement et la haine d’U. Gohier furent constants, à l’égard des juifs sans en faire une limite.

 

Autre saut dans le temps. U. Gohier dans le n° 140 du journal « Au Pilori » (25 mars 1943), support de collaboration avec l’occupant allemand, titrait « Notre dette : mille milliards. Réalisation des Protocols ».

 

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Source :

• « Joly, Maurice (1829-1878). Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, ou La politique au XIXe siècle / par un contemporain
=>gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k742943
• Exemplaire « Au Pilori » en vente sur « youscribe.com ».
• « Protocols », ed. Gohier 1924/25 => , fr.scribd.com/doc/15199252/UrbainGohierProtocolesdesSagesdIsraelLaVieilleFrance1925
• « The Protocols and World Revolution » (ed. Small, Maynard & Company) => archive.org/details/TheProtocolsAndWorldRevolution1920

 

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